Superéthanol E85

Quand les voitures carburent à l’alcool

Publié le : 23/12/2021  par « que choisir »

Le superéthanol E85, le moins cher des carburants à la pompe, est de plus en plus prisé. Mais pour l’utiliser, il faut adapter la mécanique en posant un boîtier ou opter pour un des rares véhicules flexifuel proposés à la vente.

 

Dopé par l’envolée des prix à la pompe, le super­éthanol E85, un carburant composé de 65 à 85 % d’éthanol, a le vent en poupe. Pour preuve, FlexFuel Energy Development (FFED), leader de l’installation de dispositifs de conversion en France, avance une croissance de 50 % des montages entre juin et octobre 2021 par rapport à la même période en 2019. La plateforme de vente en ligne de boîtiers Roulezpascher.com a, elle, triplé son chiffre d’affaires en octobre. L’engouement des automobilistes pour l’E85 est surtout dû à son tarif très avantageux : il coûte, en moyenne, plus de deux fois moins cher que le sans-plomb classique E10 et une quinzaine de centimes de moins que le GPLc. Et il jouit d’une image écologique.

Des émissions de gaz à effet de serre réduites

L’E85, reconnu comme carburant au Journal officiel (JO) du 1er juin 2006, préserve les ressources d’énergie fossile, car il ne contient pas beaucoup de pétrole (35 % au maximum). Surtout, la fabrication d’éthanol génère moins de CO2 : on estime à 72 % la réduction des émissions de gaz à effet de serre comparé à la production d’essence d’origine fossile. En France, l’éthanol provient principalement des betteraves, des céréales ainsi que des résidus sucriers et amidonniers. C’est d’ailleurs l’un des grands reproches qui lui sont adressés : des terres sont cultivées pour faire rouler des voitures plutôt que pour nourrir la population.

Il reste que la surface agricole qui lui est consacrée représente environ 300 000 hectares dans l’Hexagone, soit 0,6 % de la surface utile, et cela tend même à diminuer. L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) précise que de l’éthanol de deuxième génération est d’ores et déjà élaboré à partir de biomasse lignocellulosique, non comestible, ce qui limite l’utilisation de ressources dédiées. L’E85 n’a, en outre, pas vocation à devenir la seule essence en France. Sylvain Demoures, secrétaire général du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA), l’affirme : « Ce carburant ne va pas remplacer les produits actuels. Selon les consommations des véhicules dans lequel il est employé, on estime pouvoir faire rouler de 5 à 6 millions de voitures dans les conditions actuelles de production, peut-être un peu plus avec celui de seconde génération. »

Le bioéthanol est produit à partir des betteraves, des céréales et des résidus sucriers et amidonniers.

Pas mauvais pour les moteurs

Autre grief, le superéthanol endommagerait les moteurs. Dans les années 2000, le sans-plomb E10, qui comporte 10 % d’éthanol, a été lui aussi accusé d’abîmer la mécanique. En cause, l’alcool, qui aurait une incidence néfaste sur certaines pièces (sièges de soupapes, par exemple) et les plastiques. En réalité, depuis 2001, date d’entrée en vigueur de la norme Euro 3, tous les véhicules sont conçus et adaptés pour accepter l’éthanol. Bien sûr, l’E10 et l’E85 ne disposent pas des mêmes concentrations en alcool, cependant les retours d’expérience montrent que les pannes ne sont pas plus fréquentes qu’avec un autre type de carburant. Un professionnel de la région parisienne, qui pose des boîtiers depuis plus de 10 ans, confie néanmoins à Que Choisir que l’on constate une usure un peu plus rapide des injecteurs, car ils sont davantage sollicités ; ce qui obligerait à les remplacer quelques milliers de kilomètres avant l’échéance habituelle, aux alentours des 150 000. Autrement dit, rien de vraiment significatif pour l’automobiliste.

Homologué, c’est sécurisé

Point essentiel, équipez-vous d’un boîtier homologué, certes plus cher mais beaucoup plus fiable que les versions low cost vendues sur Internet. Sachez que son installation implique une mise à jour de la carte grise (gratuite dans la plupart des régions, hors frais postaux). Faites appel à l’un des quatre fabricants agréés (1), les seuls à vous garantir de circuler avec un véhicule en règle. Cette intervention engendre aussi l’annulation de la garantie légale du constructeur. Il ne s’agit pas d’une reconnaissance de la part des groupes auto d’un « risque » quelconque pour la mécanique, mais de leur attitude habituelle dès lors qu’une modification est effectuée sur un de leurs modèles. Afin de protéger le consommateur, la garantie de l’installateur prend le relais. Tous les éventuels dommages liés à la pose sont couverts, mais seules les pièces entrant en contact avec l’E85 sont concernées : canalisations de carburant, réservoir, injecteurs… Les autres défaillances continuent à relever de la garantie contractuelle.

Un carburant réglementé

Le superéthanol n’aime pas le froid et il a du mal à s’enflammer quand les températures sont basses. C’est la raison pour laquelle la proportion d’éthanol diffère selon les saisons. Elle est déterminée par un arrêté du 28 décembre 2006, relatif aux caractéristiques du superéthanol (JO du 12/1/2007). Le taux de concentration d’alcool oscille entre 75 et 85 % l’été, et entre 65 et 75 % l’hiver. En pratique, certains moteurs demanderont deux ou trois coups de démarreur le matin. Par ailleurs, L’E85 est hydrophile et attire les molécules d’eau dans le réservoir, ce qui pourrait provoquer des problèmes de corrosion. Toutefois, à moins que ce dernier et/ou son bouchon n’aient un défaut d’étanchéité, vous n’avez pas grand-chose à craindre. Les normes appliquées aux cuves de stockage éliminent en effet presque totalement le risque d’avoir de l’eau dans votre réservoir quand vous faites le plein. La norme européenne EN 15293 impose, en outre, que le superéthanol ne contienne pas plus de 0,4 % d’eau ; une limite qui a même été abaissée à 0,3 % en France. À noter cependant : de la condensation peut se former sur les parois du réservoir lorsqu’il est presque vide. Mieux vaut donc le remplir si vous ne comptez pas vous servir de votre voiture pendant un certain temps.

Moins performant, mais plus économique

La « faiblesse » de l’E85, c’est la surconsommation qu’il engendre : jusqu’à 25 % de plus. L’éthanol étant moins calorifique que le sans-plomb traditionnel, il faut compenser ce manque de performance en injectant plus de carburant dans les cylindres. D’où l’utilité du boîtier, ou de l’adaptation de la gestion électronique du moteur sur un modèle flexifuel (modification du temps d’ouverture des injecteurs).

Malgré tout, le superéthanol permet de réaliser de 650 à 1 000 € d’économies par an sur le poste carburant. De quoi rentabiliser le coût de la pose du boîtier de conversion – qui peut atteindre 1 300 € pour les motorisations modernes – en moins de deux ans ; cette échéance variant en fonction de votre auto, de votre style de conduite, ou encore de votre kilométrage annuel. Et, pour les voitures neuves flexifuel, cela dépend des constructeurs. Par exemple, chez Ford, le « surcoût E85 » est nul sur la Fiesta et monte à seulement 300 € sur le Kuga. Dernier avantage non négligeable : ce type de véhicule bénéficiera d’une demande plus forte que les autres lors d’une éventuelle revente.

L’info en plus

Certaines collectivités territoriales proposent des aides à l’installation du dispositif de conversion à l’E85. Par exemple, depuis le 1er juin 2021, la région Grand Est organise l’opération « 1 000 boîtiers à 1 € » (l’aide maximale s’élève à 900 €). Puis, pour 5 000 autres boîtiers, 500 € seront remboursés. Renseignez-vous. 

Sur le terrain • Ma bonne expérience

Pour tester l’E85 en conditions réelles, je fais poser un boîtier de conversion sur ma Volkswagen Polo 1.0 TSI de 2018. Rendez-vous est pris dans un atelier FlexFuel. Le technicien galère un peu à cause de l’accès délicat aux injecteurs, mais c’est nécessaire. Et c’est ce qui fait la qualité du montage : aucun fil n’est coupé et le nouveau faisceau se relie directement aux connecteurs existants.

Un peu plus de 30 minutes plus tard, ma voiture est prête. On me remet le certificat d’homologation du boîtier et la facture, indispensable pour le changement de carte grise. Comme j’avais prévu mon coup en arrivant avec un réservoir presque vide, je me rends à la pompe pour mon premier plein d’E85. Quel plaisir de voir le compteur de litres défiler plus vite que celui des euros ! Sur l’autoroute, je ne note aucune différence entre l’avant et l’après, côté accélérations, reprises, silence de fonctionnement… La conduite est identique. À l’usage, il faudra cependant anticiper, car un tiers des stations-services seulement délivre le superéthanol. Pour ne pas être pris au dépourvu, j’ai téléchargé l’application gratuite Mes stations E85.

Le boîtier servant à adapter le moteur à l’E85 doit être homologué.

Au quotidien, seul l’ordinateur de bord me rappelle que je roule à l’E85. Après plus de 2 000 km, il affiche une consommation moyenne supérieure à l’accoutumée : 7,4 l/100 km au lieu des 6,7 constatés auparavant ; soit un peu plus de 10 %. Mais grâce à l’écart des prix à la pompe (0,69 € le litre d’E85 contre 1,63 € pour l’E10), le coût aux 100 km est divisé par deux : 5,106 € contre 10,921 €. Sachant que l’installation du boîtier s’est élevée à 1 300 €, il faut parcourir 22 356 km pour la rentabiliser (18 mois dans mon cas). À fin novembre, je n’ai remarqué qu’un seul petit désagrément : à une température proche de zéro, le démarrage du moteur s’avère un peu plus long. Dernier point, la modification du certificat d’immatriculation (la case P.3 devient FE – superéthanol – au lieu de ES pour essence), via le site de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), a été simple et a pris moins de 15 jours.

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